Susan Aglukark se souvient du jour où, dans une école du Nunavut, elle a rencontré une élève agitée qui ne se sentait pas prête à passer un examen parce qu’elle n’avait pas eu le temps d’étudier.
« Elle paniquait parce qu’elle devait s’occuper de ses jeunes frères et sœurs », dit Susan Aglukark, auteure-compositrice-interprète inuite lauréate d’un prix JUNO et fondatrice de l’Arctic Rose Foundation, un organisme à but non lucratif qui gère le programme Messy Book.
« Je lui ai dit qu’elle avait du temps pour étudier et que je lui apporterais de la nourriture. Elle était tellement contente. »
Le fait de se sentir pris en charge peut avoir une incidence inestimable sur une jeune personne, affirme-t-elle.
Le programme parascolaire Messy Book est destiné aux jeunes des communautés autochtones du Nord. Les jeunes de la 5e à la 12e année explorent des processus artistiques autochtones qui les lient à leur culture. Ils ont également accès à des collations saines, à du mentorat, à un espace tranquille pour s’exprimer et à un soutien émotionnel constant.
« Le programme Messy Book offre de la gentillesse, mais aussi de la constance. Nous leur disons que nous sommes là pour eux », affirme Susan Aglukark.
Le programme, offert en anglais et dans la langue de la communauté, fait appel à des artistes autochtones qui enseignent des compétences artistiques et font part de leur histoire et de leurs techniques artistiques aux jeunes.
Des élèves du secondaire sont formés pour être embauchés avec salaire en tant qu’artistes de liaison et mentors communautaires afin de diriger le programme dans la collectivité.
Les plus jeunes étudiants qui ont participé au programme par le passé reviennent souvent pour occuper ce poste, souligne-t-elle.
Utiliser des outils artistiques et des espaces calmes pour gérer la santé mentale
Le programme Messy Book, qui a fait l’objet d’un projet pilote à Rankin Inlet, au Nunavut, en 2018, a depuis été mis en œuvre dans les collectivités d’Arviat, de Cambridge Bay, d’Arctic Bay, de Sanikiluaq, d’Igloolik et de Chesterfield Inlet. Il a également été mené dans les collectivités de Yellowknife et d’Edzo, dans les Territoires du Nord-Ouest, ainsi que dans les communautés des Premières Nations de Pikangikum et de Deer Lake, dans le nord de l’Ontario.
Chaque établissement du programme, qui est habituellement mené à l’école locale, comprend une salle Arctic Rose désignée, où les jeunes peuvent laisser libre-cours à leur expression créative, étudier ou simplement se reposer dans un endroit calme et sûr.
L’objectif est d’aider les jeunes des communautés autochtones du Nord à trouver et à raconter leurs propres histoires positives et à explorer les modes d’expression de soi, tout en établissant des relations saines avec les adultes et les pairs, explique Susan Aglukark.
« Nous [les peuples autochtones] avons un passé extraordinaire, dont une grande partie nous a été cachée et a été retirée des livres d’histoire », déclare-t-elle sur le site Web de l’Arctic Rose.
« Leur donner, ainsi qu’à nous-mêmes, la possibilité d’en apprendre davantage sur nos propres héros, des héros dont nos enfants et nos jeunes ont désespérément besoin en ce moment, ainsi que les faire participer à cette histoire et à cette culture les aidera à aspirer à plus, à rêver et à recadrer qui ils sont dans le monde d’aujourd’hui. »
Susan Aglukark a grandi à Arviat, un village inuit sur la rive ouest de la baie d’Hudson, avant de s’installer en Ontario il y a 33 ans.
« Dans notre communauté, beaucoup d’entre nous n’ont pas besoin de médicaments ni de diagnostic, mais ont tout de même des problèmes de santé mentale, dit-elle. Ce programme répond à ce besoin [de soutien en santé mentale] dans la collectivité ».
En 2022, la TD s’est engagée à verser un million de dollars sur trois ans pour soutenir le programme Messy Book dans le cadre de La promesse TD Prêts à agir, sa plateforme d’entreprise citoyenne.
Les organismes comme l’Arctic Rose Foundation, qui s’efforcent de favoriser des changements positifs dans leurs collectivités, peuvent faire une demande de financement.
Un financement s’échelonnant sur plusieurs années est bénéfique, car il faut du temps et de la constance pour instaurer des changements et tisser des liens dans chaque établissement Messy Book, explique Ulrike Komaksiutiksak, directrice générale d’Arctic Rose.
Qu’est-ce qu’un « Messy Book »?
Chaque jeune qui participe au programme reçoit une trousse Messy Book en cadeau, explique Susan Aglukark. La trousse contient des crayons de cire, un cahier, un paquet de crayons de couleur, un stylo, un crayon, un bâton de colle et un taille-crayon.
On invite les jeunes à créer des œuvres dans leur cahier Messy Book, mais la trousse elle-même n’est pas qu’une question d’expression artistique ou de techniques mixtes.
« Le symbole de la trousse, c’est qu’ils la maîtrisent, dit-elle. Même s’ils ne maîtrisent rien d’autre, cette trousse symbolise la partie de la journée sur laquelle ils ont un contrôle. »
Susan Aglukark sait qu’elle est sur la bonne voie avec le programme Messy Book lorsqu’elle entend parler d’étudiants qui y font appel pour gérer de façon proactive leur santé mentale.
Elle se souvient de l’histoire d’une élève de Rankin Inlet qui travaillait au sein du programme.
« Ce que nous ne savions pas, c’est que cette élève était très anxieuse, dit-elle. Un jour, son anxiété a atteint son paroxysme et elle croyait qu’elle allait devoir rentrer chez elle. Mais elle s’est souvenue qu’elle avait accès à la salle Arctic Rose de son école. »
Elle a pu accéder à un espace paisible et prévisible où elle pouvait réaliser des œuvres d’art, utiliser son cahier Messy Book et se calmer, raconte Susan Aglukark.
« Les élèves savent qu’ils seront en sécurité sur le plan émotionnel dans cette pièce », dit-elle.
Le programme Messy Book est également un endroit fiable où les jeunes peuvent aller après l’école pendant que les parents et les autres aidants sont encore au travail.
Des collations, comme des fruits, des jus et des barres tendres, sont offertes pendant le programme parascolaire, et les élèves peuvent s’en procurer deux ou trois s’ils n’ont pas assez mangé ce jour-là, explique Susan Aglukark.
« C’est important de pouvoir être en sécurité sur le plan émotionnel dans le programme, dit-elle. Personne ne vous jugera parce que vous avez besoin de deux ou trois collations. »
Une mère qui travaille pour une compagnie aérienne au Nunavut a rencontré Susan Aglukark à l’aéroport. La mère lui a montré le bracelet que son enfant avait confectionné pour elle dans le cadre du programme et a exprimé sa gratitude pour le programme Messy Book.
« Cette mère a dit : "Je sais où [elle] est du lundi au vendredi. Je sais qu’elle est en sécurité jusqu’à 17 h. Et je sais que ma fille a hâte d’y aller" ».