J’avais huit ou neuf ans la première fois que j’ai mis les pieds dans une réserve.
J’ai passé les premières années de ma vie à Lunenberg, ville pittoresque de Nouvelle-Angleterre située à environ une heure de Boston. À la fin de ma deuxième scolaire, ma mère et moi avons rejoint la communauté des Premières Nations de Gesgapegiag, en Gaspésie, sur la péninsule de Gaspé, au Québec. Ma mère y avait grandi.
Dire que j’ai vécu un choc culturel serait un euphémisme.
Je venais d’une banlieue américaine et, du jour au lendemain, je me suis retrouvé dans une région rurale où les routes étaient dominées par des camionnettes et où tout semblait tourner autour de la chasse et de la pêche au saumon.
L’école était également différente. J’ai suivi des cours de mathématiques et de sciences, ainsi que de langue et culture mi’kmaq, comme Plamu, qui nous a appris à élever des œufs de saumon. Nous avons également appris à connaître les pratiques traditionnelles de la pêche et de la chasse. Au début, le simple fait d’assister à l’éviscération d’un saumon ou d’un cerf me rendait malade.
J’étais tiraillé entre deux mondes. Jusqu’alors, j’avais grandi dans un quartier blanc de banlieue américaine, où mes fins de semaine étaient consacrées à la Little League. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé dans un nouveau pays, immergé dans une nouvelle culture. Mais même si je n’avais jamais mis les pieds dans une réserve auparavant, mon déménagement en Gaspésie m’a fait l’effet d’un retour aux sources. Voilà un endroit où je pouvais explorer toutes les facettes de mon identité et tracer ma propre voie.
Assumer mon héritage autochtone
Petit à petit, j’ai appris à accepter cette partie de mon héritage mi’kmaq. Au lieu de m’approvisionner au service au volant des restaurations rapides qui parsemaient Lunenberg, j’ai appris à vivre de la terre – et à respecter ce qu’elle offre. Depuis des générations, la Gaspésie nous nourrit, tant physiquement que spirituellement. Nous consommions toujours toutes les parties de l’animal que nous chassions et nous lui manifestions notre reconnaissance par des rituels tels que des prières ou des offrandes de tabac.
Même si je vis aujourd’hui dans la ville de Montréal, mon éducation dans la réserve continue de me guider. Je cherche à apprécier et à tirer le meilleur parti des possibilités qui me sont offertes – comme la chance d’apprendre dans mon nouveau rôle au sein du Groupe national des services immobiliers de la TD – et même si je suis encore au début de ma carrière, je m’efforce de redonner à [nom de la réserve] ce qu’elle m’a donné afin que la génération qui vient après moi puisse prospérer.
Trouver ma voie grâce à l’éducation
Lorsque j’étais plus jeune, ma mère, qui est aujourd’hui enseignante mi’kmaq, m’a inculqué l’importance de l’éducation. En grandissant, j’ai décroché, mais tout a changé suite à des voyages scolaires hors réserve pour visiter des cégeps (établissements d’enseignement préuniversitaire au Québec, équivalents aux 11e et 12e années dans le reste du Canada) et des campus universitaires.
Je me souviens très bien d’avoir visité le John Abbott College, un cégep situé dans l’Ouest-de-l’Île de Montréal. J’y ai vu des jeunes gens intelligents. Ils discutaient et riaient, à l’extérieur, dans un joli cadre de verdure. Je me suis dit : « J’aime cette ambiance. C’est ici que je veux être. » Par la suite, j’ai commencé à prendre l’école plus au sérieux.
Je savais que je devais tracer ma propre voie et j’ai profité des occasions de bourses et de financement offertes aux jeunes des communautés autochtones pour poursuivre des études supérieures.
Mais tout le monde n’a pas une telle expérience pour se motiver, et tout le monde n’a pas un parent qui le pousse à se concentrer sur l’école. Le taux d’abandon des études secondaires est plus élevé chez les jeunes des communautés autochtones que dans le reste de la population canadienne. C’est un phénomène dont j’ai pris conscience au sein de ma propre communauté en voyant des amis quitter l’école.
L’école de ma communauté n’allait que jusqu’à la huitième année. Je devais parcourir près de 50 kilomètres aller et 50 kilomètres retour pour me rendre à mon école secondaire. Cette expérience n’est pas propre à Gesgapegiag; les jeunes vivant dans les communautés autochtones doivent se déplacer ou déménager rien que pour fréquenter l’école secondaire.
Dans beaucoup de nos communautés, la qualité de l’éducation et l’accès aux ressources ne sont pas comparables à ceux d’autres régions du pays. En tant que diplômé de ce système, j’en ai fait l’expérience de première main. Je ne sais pas ce qu’il faudra faire pour combler cette inégalité. Ce que je peux faire, c’est redonner à ma communauté et encourager celles et ceux qui viendront après moi à poursuivre des études supérieures – comme ma mère l’a fait pour moi.
Durant mon enfance et ma jeunesse, l’argent était souvent un sujet de préoccupation dans ma famille. J’ai également constaté qu’il y avait beaucoup de chômage dans ma communauté. En songeant à mon avenir, je me suis dit que je ne voulais plus que ma famille ait de soucis d’argent. Pour ce faire, je me suis dit qu’il fallait que j’en apprenne davantage sur l’argent, et c’est pourquoi j’ai choisi de suivre un cursus en finance.
J’ai fini par obtenir un baccalauréat de commerce en finance à l’Université Concordia. C’était la première fois que je vivais loin de chez moi, et il n’était pas toujours facile de concilier les cours et les activités extrascolaires. Je me souviens d’avoir appelé ma mère plusieurs fois au cours de mon premier cycle pour lui dire que j’étais sur le point d’abandonner. À chaque fois, elle m’a rappelé qu’il fallait prendre les choses un semestre à la fois. C’est exactement ce que j’ai fait.
Pendant mes études, j’ai également découvert l’immobilier par l’intermédiaire d’une association universitaire à laquelle j’ai adhéré, et j’ai vite compris que c’était là que je voulais orienter ma carrière.
Mon passage dans l’industrie de la pêche
J’ai obtenu mon diplôme au plus fort de la pandémie de COVID-19, et il n’a pas été facile de trouver un emploi. Je suis rentré chez moi et j’ai commencé à travailler au département des pêches de ma communauté. Si je travaillais principalement au bureau, il m’arrivait aussi de sortir sur les bateaux.
Même au milieu de l’été, l’eau de l’Atlantique est absolument glaciale, avec des vagues de 10 à 15 pieds de haut. Sur le bateau, on glisse en essayant de lutter contre les vagues et tous les équipements métalliques et les appâts se déplacent d’un côté sur l’autre sur le pont. C’était un travail dangereux.
Je suis reconnaissant de ce que j’ai appris pendant cette période. Je me suis encore rapproché de ma communauté en travaillant dans un secteur intrinsèque à notre économie locale. J’ai également été pompier volontaire, ce qui a alimenté mon désir de continuer à redonner à ma réserve.
Mais lorsqu’un ami m’a fait part d’une possibilité de postuler pour un poste à la TD, j’ai ressenti la même chose qu’au cégep de l’Ouest-de-l’Île. Je savais que je devais saisir cette occasion.
Je suis fier de travailler aujourd’hui à la TD dans le domaine que j’ai choisi. Mon équipe est spécialisée dans le financement à court terme des promoteurs résidentiels, commerciaux et industriels. Nous faisons beaucoup de visites sur place et j’aime voir des terrains urbains monotones se transformer en de beaux endroits où les gens peuvent élever leur famille et trouver un emploi.
Comment je redonne
Par l’entremise de la TD, j’ai également eu la chance de faire du bénévolat auprès d’ABC Alpha pour la vie pour enseigner la littératie financière dans les communautés autochtones. Il est très important pour moi de transmettre les compétences que j’ai acquises. Au départ, beaucoup pensent que la littératie financière se résume à économiser quelques dollars ici et là. Cela va toutefois plus loin. Apprendre à établir un budget, à calculer une cote de crédit ou à comprendre le fonctionnement des taux d’intérêt peut changer la vie. C’était mon affaire.
Grâce à un budget avisé, j’ai pu acheter une propriété que j’ai rénovée et que je loue aujourd’hui. Je suis également en mesure de redonner à ma communauté.
J’ai participé au financement d’un nouveau terrain de basketball au sein de ma communauté. Pendant mon enfance, il n’y avait pas beaucoup de lieux de loisirs publics, et ceux qui existaient étaient en mauvais état. J’espère que les enfants ont maintenant un endroit sain où passer leur temps, parce que je n’avais pas cela quand j’avais leur âge.
Bien que je vive aujourd’hui à Montréal, je reste en contact avec mes racines. Même si je ne chasse plus ou ne pêche plus le saumon régulièrement, les leçons de gratitude et d’appréciation résonnent en moi à l’heure où je m’efforce de m’établir et de construire la vie de mes rêves.