Le 28 décembre 2023, la gouverneure générale du Canada a annoncé que Martine Monique Roy, directrice régionale, Développement des affaires 2ELGBTQ+ du Groupe Banque TD, figurait parmi les 78 nouvelles nominations à l’Ordre du Canada. Madame Roy a ainsi été reconnue pour ses « efforts inlassables en tant que dirigeante, activiste et militante pour la diversité, l’inclusion et l’équité dans les communautés 2ELGBTQIA+ du Canada ».
Pour souligner sa nomination, nous sommes fiers de vous présenter cet article qu’elle a écrit en 2020 et dans lequel elle raconte son parcours et décrit les efforts qu’elle déploie sans relâche pour favoriser l’inclusion des membres de la communauté 2ELGBTQ+.
J’avais 32 ans quand j’ai participé pour la première fois à un défilé de la Fierté. C’était en 1995 et j’habitais à Montréal. À cette époque, l’épidémie de sida nous arrachait des hommes magnifiques en quantité et mettait un terme à beaucoup trop de vies.
Chaque mois, je perdais quelqu’un qui m’était cher. Parmi eux, mon meilleur ami René, qui est décédé en 1995.
Alors que je pleurais encore la mort de René, j’ai décidé de participer au défilé de la Fierté. Dans les nouvelles, on parlait sans cesse du sida. Tout le monde vivait dans la peur, la confusion et la douleur, comme avec la pandémie de coronavirus. En ce moment, les gens ont de la difficulté à comprendre la COVID-19; c’était la même chose à l’époque. Les fausses nouvelles au sujet du sida étaient monnaie courante et plusieurs avaient peur de l’attraper.
Cette année-là, mes amis et moi avons décidé de participer au défilé de Montréal pour transmettre un message de résilience et d’espoir. Nous avons loué un corbillard et deux de mes amies, déguisées en anges avec des ailes, étaient assises sur le capot. Un DJ faisait jouer de la musique à plein volume à l’arrière et nous avions installé sur le toit des haut-parleurs sur lesquels nous avions peint les mots « CE N’EST PAS FINI ».
Quand nous passions devant eux, les gens ne savaient pas s’ils devaient applaudir ou pleurer, mais ils lisaient le message, l’absorbaient et des sourires apparaissaient sur plusieurs visages.
Ce défilé restera à jamais un des moments les plus mémorables de ma vie.
Ce premier événement m’a montré que la Fierté c’est beaucoup plus qu’un défilé. Elle nous permet de souligner un moment de l’histoire, de célébrer tout le chemin que nous avons parcouru en tant que communauté, tout en reconnaissant et en comprenant collectivement que la lutte pour l’égalité est loin d’être gagnée.
La Fierté est un peu différente chaque année, puisqu’elle s’inscrit dans un moment précis de l’histoire. Cette année, comme de nombreuses festivités ont été annulées en raison de la COVID-19, il est encore plus important de reconnaître que la Fierté n’est pas seulement une fête, mais aussi un moment pour réfléchir et se recentrer.
L’homosexualité, un crime au Canada
J’ai grandi à une époque où l’homosexualité était encore considérée comme une maladie mentale et un crime au Canada. Ma mère n’était pas du tout à l’aise avec mon orientation sexuelle. Le mot « homophobie » n’existait pas encore.
À 19 ans, je me suis enrôlée dans les Forces armées canadiennes, parce que je voulais servir mon pays, et ce, même si la société ne reconnaissait pas tous les aspects de ma personne. Ma carrière militaire est rapidement devenue enrichissante et j’étais fière du travail que je faisais.
Jusqu’à cette journée de 1984, où l’Unité des enquêtes spéciales des Forces armées canadiennes m’a arrêtée et interrogée, et m’a forcée à reconnaître mes « perversions » – le mot qu’ils utilisaient pour parler de mon orientation sexuelle. J’ai fini par être congédiée après avoir été étiquetée comme étant « déviante ». Cela m’a causé un important choc émotionnel, dont je subis encore les répercussions aujourd’hui. Ce processus qu’on m’a fait subir (ainsi qu’à d’autres qui servaient dans l’armée) était inscrit dans une campagne qu’on a ensuite connue comme la « purge LGBT ». Cette campagne représente une sombre période de discrimination systémique au sein des Forces armées canadiennes, pour laquelle le gouvernement du Canada a finalement présenté des excuses en 2017. Cette discrimination m’a fait développer une anxiété continuelle qui m’a empêché d’être qui j’étais vraiment.
En 1999, 15 ans après mon congédiement, les choses ont commencé à changer tranquillement pour la communauté LGBTQ2+ du Canada. On parlait de plus en plus du mariage homosexuel et les entreprises au Canada commençaient à participer au mouvement LGBTQ2+.
À cette époque, je travaillais au Nouveau-Brunswick et j’ai participé à la mise sur pied de Fierté au travail Canada. Cette organisation, dont la TD est l’un des membres fondateurs, aide les employeurs canadiens à créer des environnements de travail qui célèbrent l’ensemble des membres du personnel, peu importe leur expression ou identité de genre, leur race ou leur orientation sexuelle. Notre vision : que tout le monde puisse atteindre son plein potentiel au travail.
Mon engagement auprès de Fierté au travail a mené à un autre défilé important de mon parcours. En 2002, j’étais reconnue pour qui j’étais vraiment au travail et cela m’a rendue tellement à l’aise que j’ai décidé de participer à l’organisation du premier défilé de la Fierté à Saint John, au Nouveau-Brunswick, avec le soutien sans réserve de mes employeurs.
Même si la foule n’était composée que d’environ 50 personnes et que l’événement était beaucoup plus petit que celui auquel j’avais participé à Montréal plusieurs années auparavant, il n’en était pas moins important.
Une fois de plus, le défilé s’inscrivait dans un moment précis de l’histoire. On sentait que des changements avaient lieu progressivement au Canada (par exemple, en 2005, la TD a été la première grande banque au Canada à commanditer un défilé de la Fierté) et l’événement était commandité par des sociétés, ce qui faisait toute la différence pour nous. Comme à chaque événement de la Fierté, nous nous sommes regroupés pour célébrer les personnes que nous étions et souligner les gains modestes que nous avions réalisés au sein de la société.
La Fierté est un événement qui se déroule tout au long de l’année
D’année en année, la Fierté revêt une signification différente, et cette année ne sera certainement pas une exception.
Partout au Canada, la pandémie de COVID-19 a forcé les autorités à mettre en place des mesures de distanciation physique et d’autres mesures de santé publique, ce qui a obligé les organisateurs de nombreux événements de la Fierté à en réduire l’envergure ou à tout annuler.
À titre de directrice régionale, Développement des affaires LGBTQ2+, Québec et Est du Canada à la TD, je travaille étroitement avec les propriétaires d’entreprise LGBTQ2+ dans les collectivités que nous servons, et je sais à quel point la Fierté est importante pour leurs affaires et leurs collectivités.
Les célébrations et les défilés sont importants, et je sais que la Fierté, c’est bien plus qu’un défilé. C’est une occasion de sensibiliser les autres et de célébrer qui nous sommes, 365 jours par année, parce que la discrimination existe encore et aussi, de reconnaître qu’il y a encore du travail à faire.
Personnellement, je ressens le véritable sens de la Fierté chaque fois que je suis avec mes enfants ou ma partenaire (que je peux maintenant appeler légalement ma conjointe), et quand je repense aux excuses que les anciens membres des Forces armées ont reçues en raison de la purge LGBT.
Cette année, on se souviendra de la Fierté comme celle affectée par la COVID-19, mais j’encourage tout le monde à profiter du moment et à faire en sorte que les célébrations de 2020 ne se limitent pas à un défilé. Profitez-en pour reconnaître ce que nous vivons collectivement. Écoutez les voix des personnes marginalisées et apprenez comment vous pouvez les aider.
Et même si je chéris le souvenir de ce premier défilé auquel j’ai participé quand j’étais plus jeune, pendant une autre période sans précédent, et que j’aimerais que nous puissions tous nous rassembler en ce moment, je pense que nous pouvons être fiers des réalisations dont j’ai parlé ici et nous réjouir de celles qui seront accomplies à l’avenir. Mais il ne faut jamais rien tenir pour acquis!
Comme je l’ai peint sur ce corbillard à Montréal il y a tant d’années : ce n’est pas fini.
Cet article a été initialement publié le 23 juin 2020.