L’abordabilité de la propriété a toujours été un sujet brûlant au Canada, et le lien entre la hausse des prix des maisons et les inégalités de richesse est une question complexe.
Pour aller au-delà des chiffres, les Services économiques TD viennent de publier un rapport intitulé « Creuser sous la surface : le marché du logement perpétue-t-il les écarts de richesse au Canada? ». Pour le lire, cliquez ici.
Dans l’entretien ci-dessous, Francis Fong, directeur général et économiste principal à la TD, nous explique pourquoi les inégalités de richesse n’opposent pas simplement les riches et les pauvres; elles opposent aussi les propriétaires et les non-propriétaires.
Quand vous avez entamé vos recherches pour ce rapport, aviez-vous une hypothèse? A-t-elle été confirmée ou infirmée?
Notre objectif était de déterminer dans quelle mesure la détérioration de l’abordabilité de l’accès à la propriété a empiré ou alimenté les inégalités de richesse au Canada. Et à l’issue de nos recherches, nous avons été surpris de constater que ces inégalités n’ont pas augmenté et que l’accès à la propriété en est en grande partie responsable. Mais en économie, les choses sont rarement aussi simples.
En examinant les données de plus près, nous avons découvert que même si le taux de propriété des plus jeunes – notamment les milléniaux et la génération Z – est similaire à celui des générations qui ont précédé, ils sont plus susceptibles que les personnes des générations précédentes d’avoir un revenu plus élevé ou de bénéficier d’un transfert de richesse de la part de parents ou d’amis.
Pour les personnes qui n’ont pas ces avantages, le marché est de plus en plus inabordable. Et pour celles qui les ont, le niveau d’endettement est tout de même plus élevé comparativement aux générations d’avant.
Il est peu probable que le contexte actuel de chute des prix des maisons améliore les choses, puisque la flambée des taux d’intérêt fait baisser l’abordabilité. Par conséquent, le fossé qui sépare les propriétaires des non-propriétaires se creuse.
Pourquoi le logement crée-t-il un écart de richesse entre les propriétaires et les non-propriétaires?
Au Canada, depuis quelques dizaines d’années, les prix des maisons ont suivi une trajectoire unidirectionnelle. Même en tenant compte de la récente baisse, ils ont plus que triplé depuis 2002, et n’ont fléchi qu’à quelques occasions courtes et intermittentes. Le logement est unique, car c’est le seul actif non financier qui gagne en valeur au fil du temps, pendant qu’on le consomme, à l’inverse d’une voiture, qui perd généralement de sa valeur après l’achat. Avec un bien immobilier, on a le beurre et l’argent du beurre.
C’est ce que les économistes qualifient souvent d’« épargne forcée ». Simultanément, un propriétaire accumule du patrimoine alors que les prix augmentent parce qu’il rembourse son prêt hypothécaire, et sa valeur nette grimpe à chaque versement. Qui plus est, il existe de nombreuses subventions et incitations fiscales qui profitent exclusivement aux propriétaires, sans qu’il y ait de mécanisme directement comparable permettant aux non-propriétaires de se constituer un patrimoine.
Les données de cette étude vont de 2005 à 2019. En quoi la pandémie de COVID-19, la forte inflation et la hausse des taux d’intérêt ont-elles influencé le marché du logement de 2020 à aujourd’hui?
Jusqu’ici, la pression sur le prix des logements s’exerçait surtout dans les grandes régions métropolitaines. Avec la COVID-19 et le développement du télétravail, cette pression s’est déplacée, puisque les gens pouvaient s’éloigner des villes et trouver plus grand pour moins cher, tout en gardant leur emploi.
Résultat : ce marché devient inabordable pour les propriétaires locaux, puisque les gens sont maintenant prêts à payer plus pour les mêmes maisons. Par conséquent, la hausse des prix touche une tranche de population plus grande qu’avant.
Parlons maintenant de la forte inflation et des taux d’intérêt élevés qu’on constate aujourd’hui. Naturellement, les prix des maisons ont baissé en conséquence. Mais l’abordabilité ne s’est pas forcément améliorée, car les taux d’intérêt sont nettement plus élevés qu’il y a quelques mois. Si l’on regarde à combien s’élevaient les prix et les taux au début de tout ceci, on estime qu’il faudrait que les prix baissent d’environ 10 % pour chaque point de pourcentage d’augmentation des taux.
Aujourd’hui, les taux hypothécaires ont augmenté de plus de deux points de pourcentage, et les prix des maisons n’ont pas tellement baissé. En parallèle de la hausse des taux, les prix doivent diminuer pour que l’abordabilité reste plus ou moins la même. Ici, en résumé, les paiements hypothécaires augmentent alors que le coût d’achat ne descend pas assez pour équilibrer les choses.
Tout compte fait, l’abordabilité ne s’améliore pas. Au contraire, la hausse des taux d’intérêt pourrait être un obstacle rédhibitoire pour les gens qui souhaitent acheter plus grand. Résultat : personne ne bouge, donc l’offre de logement n’augmente pas.
Si vous rédigiez le même rapport avec des données allant jusqu’à 2022, pensez-vous que les conclusions seraient différentes?
Non, je ne pense pas, surtout sur le plan des inégalités. Même si la baisse des prix des maisons, comme celle qui a lieu en ce moment, devrait en théorie contribuer à réduire l’écart entre les propriétaires et les non-propriétaires, les marchés financiers ont aussi été durement touchés. Comme les non-propriétaires dépendent proportionnellement plus des actifs financiers que des biens immobiliers, le portrait des inégalités devrait théoriquement rester inchangé.
Pourquoi l’accessibilité et l’abordabilité du logement sont-elles des enjeux importants?
D’après les résultats du rapport, il apparaît de plus en plus impératif de s’attaquer à la question de l’accessibilité et de l’abordabilité du logement. Il s’agit non seulement de répondre à un besoin essentiel et à un droit fondamental, mais aussi d’éviter de creuser davantage le fossé des inégalités – comme on le voit ailleurs – et tous les problèmes sociaux qui l’accompagnent.
À court terme, il y a entre l’offre et la demande un décalage clair auquel il faut remédier en stimulant l’offre, et plus précisément, une offre qui répond à tout l’éventail des besoins. À long terme, il faut se demander ce qu’on devrait faire concernant les inégalités au Canada, car le taux de propriété ne peut pas augmenter à l’infini, compte tenu du niveau d’abordabilité actuel et de notre degré de dépendance à l’immobilier pour limiter les inégalités.
Il est primordial de s’attaquer aux problèmes de logement à court et à long terme, pas seulement pour protéger le droit fondamental d’avoir un toit au-dessus de sa tête, mais aussi pour préserver la réputation du Canada en tant que société égalitaire où tout le monde a la même chance de réussir. Le logement y a toujours joué un rôle, et ce rôle est désormais menacé.