Ma fascination pour la langue ASL a commencé avec l’émission de télévision Sesame Street.
Je me souviens qu’enfant, j’étais captivé par Linda Bove, une actrice sourde qui a participé à l’émission pendant près de trois décennies; j’étais fasciné par ses expressions faciales et par le fait qu’elle pouvait s’exprimer sans aucun mot. Linda nous a fait découvrir, à moi et à des millions d’autres enfants nord-américains, le langage des signes à une époque où cela était relativement inconnu.
Depuis près de vingt ans maintenant, j’ai l’honneur de travailler avec des personnes malentendantes et sourdes. À titre d’interprète en langue ASL chez la TD depuis 2018, j’ai été directement témoin des enjeux liés à l’accessibilité et des préjugés auxquels cette communauté est confrontée.
Grâce à une plus grande sensibilisation et aux progrès technologiques en matière d’accessibilité – notamment l’arrivée du service de relais vidéo au Canada en 2016, qui permet aux personnes malentendantes et sourdes de faire des appels téléphoniques – le milieu de travail s’est amélioré et est devenu plus inclusif pour la communauté des personnes sourdes et malentendantes.
Malheureusement, les conséquences de la pandémie de COVID-19, comme certaines des mesures de santé publique visant à freiner la propagation du virus, nuisent involontairement aux progrès réalisés et créent de nouvelles difficultés pour cette communauté.
Une étude réalisée par l’Association des Sourds du Canada en 2015 a révélé qu’environ 357 000 personnes au Canada souffrent d’un certain niveau de déficience auditive.
La COVID-19 crée de nouvelles difficultés pour la communauté des personnes sourdes
Certaines des mesures de santé publique mises en place pour aider à contrôler la propagation de la pandémie sont des gestes que beaucoup d’entre nous peuvent adopter sans difficulté majeure. Prenons, par exemple, le port du masque et la distanciation physique. Bien que leur mise en œuvre soit nécessaire pour tenter d’enrayer la propagation, ils compliquent la communication pour les personnes sourdes.
Vous l’ignorez peut-être, mais la langue des signes est un langage tactile et expressif et certains signes exigent que vous touchiez votre visage. Une grande partie de la communication est effectuée par des expressions faciales, ce qui est beaucoup plus difficile à faire lorsqu’on porte un masque et qu’on doit éviter de se toucher le visage.
De plus, les masques constituent une barrière pour les personnes sourdes et malentendantes qui lisent sur les lèvres. À cet égard, les masques à fenêtre transparente en plastique sont meilleurs que ceux qui n’en ont pas. Un autre aspect commun de la culture des personnes sourdes consiste à taper sur l’épaule d’une personne pour attirer son attention, ce qui n’est pas évident à faire en respectant la distanciation physique.
Le télétravail crée des difficultés supplémentaires
L’adaptation au télétravail a été frustrante pour de nombreuses personnes, entre autres celles qui sont sourdes et malentendantes. En raison de la pandémie, de nombreux employés de bureau ont été obligés de s’installer devant un petit écran d’ordinateur portable pour travailler à la maison, alors qu’ils utilisaient de grands moniteurs multiples au bureau. Une des solutions pour améliorer l’accessibilité est de fournir de grands moniteurs à tous les employés en télétravail, et c’est ce que la TD a fait.
Pour mes collègues, le fait de ne pas avoir ce type de moniteur lors d’une présentation ou d’une séance de formation signifierait de tout observer en même temps sur un petit écran : le présentateur, l’interprète en langue ASL et la présentation elle-même. Sans compter que je fais aussi des appels vidéo simultanés afin que les employés sourds et malentendants puissent me voir en mode plein écran tout en suivant leur réunion; et lorsque je suis déjà occupé dans une autre réunion, je fais venir des interprètes indépendants qui assurent ce service pour mes collègues, au besoin.
Je suis fier que mon lieu de travail soit la seule banque au Canada à disposer d'un laboratoire Technologies d’assistance.
Dans le cadre du Mois national de la sensibilisation à l’emploi des personnes handicapées (MNSEPH) qui se tient en octobre, j’ai contacté deux de mes collègues sourdes à la TD, Christine Senitza, agente, Opérations, et Nancy Goduto, représentante, Partenaires en services, afin de leur demander des conseils sur la façon d’être un bon allié au travail envers leur communauté. Voici quelques conseils de leur part sur la manière de favoriser l’inclusion et l’accessibilité des collègues malentendants :
En télétravail
- Soyez un allié en faisant le point régulièrement pour vérifier si tout va bien pour la personne malentendante. Cette dernière est-elle informée des développements relatifs à la pandémie (au travail et en général)?
- Si vous êtes chef d’équipe, informez-vous de la technologie en matière d’accessibilité dont la personne malentendante a besoin et coordonnez vos efforts avec l’interprète pour vous assurer que cette technologie est mise à sa disposition.
Travail en présentiel
- Les employés malentendants et sourds préfèrent souvent s’asseoir avec les personnes entendantes lors des réunions pour les voir et discuter ouvertement avec elles. Invitez-les toujours à se joindre à vous.
- Faites poliment un signe de la main si vous désirez attirer l’attention de la personne malentendante.
- Si vous portez un masque sans fenêtre transparente, servez-vous d’un stylo et du papier pour communiquer.
Dans un contexte professionnel, nous devons sortir de notre zone de confort et nous adresser à nos collègues malentendants et sourds pour connaître leurs besoins précis. À titre d’interprète en langue ASL, être un bon allié signifie que je ne dois pas supposer qu’une personne préfère communiquer uniquement en langue ASL; je dois plutôt lui demander ce qu’elle préfère, par exemple que j’articule en anglais et qu’elle lise sur mes lèvres pendant que j’interprète en langue ASL ou que j’utilise la langue des signes anglaise.
Pour être un bon allié au travail, il faut d’abord comprendre que les personnes physiquement aptes et entendantes sont privilégiées, puis reconnaître que la communauté des personnes sourdes et malentendantes possède une riche histoire et une vaste culture qui lui sont propres. L’apprentissage autonome est une étape très importante dans le parcours du bon allié et de nombreuses organisations, comme la Société culturelle canadienne des Sourds, possèdent les ressources, renseignements historiques et statistiques nécessaires pour vous informer.
Et il est toujours bon de poser des questions et de vous renseigner au sujet de vos collègues sourds et malentendants. À l’heure actuelle, il est particulièrement important d’être à l’écoute de leurs besoins pour continuer à motiver ce bassin de talents et pour créer un environnement de travail – virtuel ou présentiel – toujours plus inclusif.
Nous devons nous rappeler que l’écoute ne se fait pas toujours avec nos oreilles, elle se fait aussi avec notre cœur.