Lors de sa première visite au Canada à titre de secrétaire du Trésor des États-Unis plus tôt cette semaine, Janet Yellen a rencontré la vice-première ministre et ministre des Finances du Canada Chrystia Freeland pour parler de divers enjeux économiques touchant les deux partenaires commerciaux.
Après une journée complète de discussions bilatérales derrière des portes closes, les deux dirigeantes ont participé à une séance publique informelle présentée par Canada 2020 à la Rotman School of Management et animée par l’économiste en chef de la TD, Beata Caranci.
La discussion « Des économies bénéfiques pour tous » (Economies that Work for Everyone) portait sur une variété d’enjeux internationaux, comme le conflit en Ukraine, les solutions pour lutter contre l’inégalité des revenus, la participation de la population active et les répercussions persistantes de la pandémie de COVID-19.
Les « points communs » (connecting points) de ce partenariat de longue date, pour reprendre les mots de Mme Caranci, étaient au cœur de l’échange.
« La vice-première ministre et moi avons rapidement compris que nous partageons bon nombre de points communs en termes de valeurs : l’accent mis sur le marché du travail et les emplois, une croissance solide, et une économie équitable et durable », a indiqué Mme Yellen. La ministre Chrystia Freeland a fait écho à ces propos à de nombreuses reprises.
« [Un récent discours de Mme Yellen] m’a beaucoup inspirée pendant que nous établissions notre budget, notamment parce que je me suis reconnue instantanément et que j’ai senti qu’elle a su nommer les politiques que nous mettons de l’avant au Canada depuis 2015 », a-t-elle confié.
En tenant compte des défis mondiaux actuels touchant les deux pays, y compris les problèmes interreliés associés à l’inflation, à la gestion des chaînes logistiques et à l’invasion illégale de l’Ukraine par la Russie, les deux dirigeantes ont mis de l’avant la pertinence d’adopter une approche centrée sur les valeurs connue sous le nom de friend-shoring pour recentrer les échanges mondiaux.
Friend-shoring : une nouvelle approche pour aider à résoudre les enjeux d’approvisionnement mondiaux
Selon les Services économiques TD, le friend-shoring est une stratégie économique américaine qui avait déjà été proposée avant l’attaque illégale lancée par la Russie, mais qui a depuis gagné du terrain. Le concept de friend-shoring entre deux nations consiste à s’appuyer sur une alliance fondée sur des valeurs partagées pour établir de nouvelles voies d’approvisionnement pour des produits clés, comme l’énergie.
Le friend-shoring désigne le fait que des nations de même sensibilité relocalisent la production de certains secteurs plutôt que d’opter pour l’impartition (offshoring) dans certains pays. Pendant la discussion, la ministre Chrystia Freeland a mentionné plusieurs secteurs auxquels le Canada pourrait appliquer ce principe, dont ceux des ressources naturelles, des minéraux essentiels, de l’énergie, des fertilisants et du nucléaire.
La ministre canadienne a affirmé que le friend-shoring est une façon de diversifier les relations commerciales, de favoriser les alliés de confiance qui appuient la démocratie et les droits de la personne ainsi que de couper les ponts avec les pays moins dignes de confiance.
La secrétaire Janet Yellen a fait remarquer que la pandémie mettait en lumière ce qu’elle a qualifié de fragilité des chaînes logistiques américaines, un problème aggravé par le conflit en Ukraine, et que le friend-shoring « est synonyme d’une plus grande résilience ».
La ministre Chrystia Freeland est allée encore plus loin en disant que l’invasion illégale de l’Ukraine a marqué la fin de l’ère de commerce mutuel entre les nations du monde qui avait commencée à la fin des années 1980.
« Voilà l’enjeu économique et géopolitique de taille sur lequel nous [la communauté internationale] devons nous pencher », a expliqué Mme Freeland
« Cette ère est révolue et nous devons trouver une façon de remplacer le modèle précédent, et je crois que le friend-shoring est la première étape. Il faut renforcer nos liens avec les pays qui partagent nos valeurs pour former un réseau de pays qui peuvent vraiment se faire confiance entre eux. »
Pour raffermir la position du Canada dans l’économie mondiale, le friend-shoring est un choix sensé étant donné que notre principal allié est aussi la plus grande puissance économique dans le monde, mais cette stratégie a aussi ses détracteurs selon l’économiste en chef de la TD.
Le contre-argument de certains économistes, a expliqué Beata Caranci, est que le fait de former des camps antagonistes de partenariats commerciaux pourrait aviver l’inflation et nuire à la croissance économique mondiale.
Pour la ministre Chrystia Freeland, les côtés négatifs du friend-shoring sont moindres que les avantages d’établir de nouvelles relations commerciales qui pourraient stimuler la demande pour les ressources naturelles du Canada, y compris des minéraux utilisés dans les batteries et les semi-conducteurs dont l’approvisionnement était problématique même avant la pandémie.
« Qui a le plus de ces ressources? Nous, Le Canada. », a renchéri Mme Freeland.
La secrétaire Janet Yellen, pour sa part, voit le friend-shoring comme une façon de consolider et de dynamiser les relations commerciales existantes tout en se montrant attentifs à la montée des sentiments protectionnistes qui pourrait découler de l’augmentation de la méfiance à l’égard des partenaires commerciaux.
« Les pays qui partagent avec nous certaines valeurs devraient être avantagés sur le plan commercial afin que nous ayons plusieurs sources d’approvisionnement et que nous ne soyons pas excessivement dépendants des pays qui soulèvent particulièrement des préoccupations géopolitiques pour l’approvisionnement de biens essentiels », a-t-elle expliqué.
Mettre fin à notre dépendance envers la Russie et la Chine
Selon Mme Yellen, la réorganisation des chaînes logistiques procure des solutions de rechange et un contrôle des partenaires de mauvaise foi.
La ministre canadienne a aussi réitéré son appel à bâtir des relations commerciales fondées sur un entendement partagé de la démocratie et des droits de la personne, et a dit qu’elle y voyait une occasion pour le Canada.
« J’appelle la nation canadienne à agir dans cette nouvelle ère du friend-shoring », a dit Mme Freeland peu avant la conclusion de la discussion.
« Nos démocraties ne veulent pas dépendre de la Russie et de la Chine pour les minéraux et métaux essentiels nécessaires à la fabrication de batteries et de semi-conducteurs, les réacteurs nucléaires, les fertilisants ou même l’énergie. Ce n’est plus sécuritaire. Nos alliés qui sont de bons partenaires méritent que nous [le Canada] agissions. »
Après l’événement, Beata Caranci a noté que la discussion avait mis en lumière la force de la relation entre les deux dirigeantes, et que de telles relations seront capitales pour affronter les défis communs qui se dressent devant les économies étroitement corrélées des deux pays.
« Comme la pandémie, les défis que ces dirigeantes doivent affronter transcendent les frontières », a conclu Mme Caranci.
« S’il y a bien une chose à retenir de la discussion d’aujourd’hui et de la visite de la secrétaire du Trésor au Canada, c’est que nos deux pays sont en bien meilleure position pour affronter les vents défavorables ensemble, avec d’autres pays amis. »