Il faut chercher une place en service de garde avant même d’être enceinte. C’est du moins ce que j’ai ressenti en tant que nouvelle maman vivant dans la région du Grand Toronto.
En tant que nouvelle maman, je ne réalisais pas vraiment la rareté des places en service de garde à Toronto avant la naissance de ma fille, et j’ai dû attendre qu’elle ait deux mois avant de l’inscrire sur la liste pour l’une des rares places qui pourraient se libérer dans mon quartier.
Par conséquent, lorsque mon congé de maternité s’est terminé neuf mois plus tard, je n’avais toujours pas trouvé de place pour elle et je n’avais nulle part où la faire garder quand vint le temps de retourner travailler au bureau. Heureusement, j’ai pu trouver une garderie privée, mais je sais que tout le monde n’a pas cette possibilité.
Je sais aussi que mon expérience est loin d’être unique, et les données montrent que la situation devrait rester difficile pour les nouveaux parents pendant un certain temps.
Voici ce que dit à ce sujet un nouveau rapport des Services économiques TD intitulé L’espace entre nous : la disponibilité des services de garde d’enfants définira le marché du travail canadien, et même si toutes les provinces et tous les territoires ont accepté le Cadre multilatéral d’apprentissage et de garde des jeunes enfants du gouvernement fédéral, dont l’objectif est de fournir des services de garde à 10 $ par jour partout au Canada dès 2026, il manquera entre 243 000 et 315 000 places en services de garde à l’échelle du pays.
C’est un chiffre déconcertant pour les parents. Alors, comment en sommes-nous arrivés là?
Davantage de femmes ayant des enfants en bas âge entrent sur le marché du travail
La pandémie a sans aucun doute été difficile pour les parents, dont beaucoup ont dû composer avec le travail et l’école virtuelle ou la garde des enfants (ou les deux) pendant le confinement. En moyenne, selon ce que rapporte le New York Times, les mères accomplissent davantage de travail non rémunéré à la maison, comme la cuisine, les travaux ménagers et l’éducation des enfants.
« Mais les données suggèrent que la pandémie a été un tournant pour les familles avec de jeunes enfants », m’a confié Francis Fong, économiste à la Banque TD et auteur principal du rapport.
« Une plus grande souplesse en milieu de travail a donné la possibilité à de nombreuses mères de mieux concilier travail et vie personnelle, ce qui a permis à beaucoup d’entre elles d’entrer sur le marché du travail à partir de 2020 ».
Entre l’été 2020 et avril 2023, les femmes ayant des enfants de moins de six ans sont entrées massivement sur le marché du travail. Selon le rapport des Services économiques de la TD, le taux d’activité de ce groupe a augmenté de 4 points de pourcentage pour atteindre 78,8 %, soit l’équivalent de 111 000 mères supplémentaires sur le marché du travail en moins de trois ans, un rythme qui a plus que doublé par rapport aux trois années précédentes.
Il y a deux raisons à cela : des modèles de travail flexibles et hybrides et un meilleur accès à des services de garde abordables dans certaines provinces.
La flexibilité est importante
Lorsque j’ai planifié mon retour au travail, je savais que j’allais reprendre un poste hybride où je serais au bureau quelques jours par semaine et travaillerais à domicile le reste du temps. Des amis, sans enfants, m’ont demandé si je comptais garder ma fille moi-même les jours où je travaillais à la maison. J’ai ri et j’ai expliqué ce que je prévoyais faire pour la faire garder. Non, je n’allais pas essayer de trouver un équilibre au travail tout en m’occupant d’un enfant de 1 an.
Comme nous l’avons tous constaté pendant la pandémie, il est difficile de concilier travail et garde d’enfants. Mais il est vrai aussi que le modèle de travail hybride ou flexible permet aux parents de trouver plus facilement une harmonie entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle.
Je sais d’expérience que lorsque je travaille de la maison, je n’ai pas besoin de me presser autant le matin et en fin de journée. J’ai parfois même le temps de faire une séance d’entraînement ou de préparer mes repas à l’heure du dîner ou entre deux réunions, des tâches que je remettais souvent en soirée (des heures précieuses!) à l’époque où les options de travail hybrides n’étaient pas aussi répandues.
Selon le rapport des Services économiques TD, les différents secteurs qui se prêtent bien au télétravail, comme ceux de la finance et de l’assurance, ont vu une augmentation de la participation du nombre de mères avec de jeunes enfants. La tendance est à l’opposé pour les secteurs de l’hébergement et du commerce de détail. Le rapport indique qu’il y a une corrélation directe entre la présence de modèles de travail hybride dans un secteur et la participation des femmes qui sont mères d’enfants de moins de six ans.
« Les secteurs qui offrent des arrangements plus souples, comme ceux où le travail de bureau est répandu, par exemple, ont désormais un avantage concurrentiel dans le monde post-pandémique pour attirer ce bassin de main-d’œuvre », explique Francis Fong.
L’avantage d’un service de garde abordable
Comme le montrent les données des Services économiques TD, la disponibilité de services de garde abordables dans une région entraîne généralement une plus grande participation au marché du travail des femmes ayant de jeunes enfants. Par exemple, après que les gouvernements provinciaux de l’Alberta et de la Colombie-Britannique ont réduit les frais des services de garde en 2017 et 2018, respectivement, le taux de participation des femmes ayant de jeunes enfants a sensiblement augmenté.
« Les frais des services de garde et le taux de participation des femmes au marché du travail sont très étroitement liés. Les villes où les frais des services de garde sont moins élevés ont tendance à compter davantage de mères avec de jeunes enfants au travail », affirme Francis Fong.
Selon le rapport des Services économiques TD, à Toronto, où les services de garde peuvent coûter plus de 2 000 $ par mois, le taux de participation au marché du travail des mères ayant de jeunes enfants était inférieur à celui de presque tous les autres grands centres urbains du Canada en 2021, à l’exception de Kitchener, d’Edmonton et de Windsor.
Selon Francis Fong, un phénomène intéressant est observé près de la capitale nationale dans deux villes voisines, Gatineau et Ottawa : la première étant au Québec et la seconde en Ontario.
En 2019, il y avait un écart de 3,1 points de pourcentage dans le taux de participation au marché du travail des femmes ayant de jeunes enfants. Le Québec a mis en place des services de garde abordables en 1997, tandis que l’Ontario n’a pratiquement pas pris de mesures politiques pour faire face aux coûts des services de garde.
En 2021, lorsque le travail à distance est devenu répandu, cet écart s’est réduit à 1,9 point de pourcentage. Avec la mise en place par l’Ontario d’un programme de services de garde abordables en 2022 (avec l’objectif d’atteindre 10 $ par jour d’ici 2025), les Services économiques TD croient que cet écart pourrait se réduire encore davantage.
En termes simples, le rapport illustre à quel point des services de garde à coûts abordables peuvent favoriser la participation des mères au marché du travail.
C’est une question d’offre et de demande
Tout cela ressemble à une bonne nouvelle, avec une multitude de facteurs facilitant le travail des parents, et en particulier des mères. Alors pourquoi les Services économiques TD prévoient-ils qu’il manquera 315 000 places en services de garde à l’échelle nationale d’ici 2026?
« D’après les données du sondage, nous savons que de nombreuses familles ayant de jeunes enfants à la maison ne recourent pas actuellement à des services de garde payants, mais ont indiqué qu’elles le feraient si elles n’étaient pas confrontées à des obstacles liés au coût et à l’accessibilité », déclare Francis Fong.
« Avec la volonté des provinces partout au pays d’éliminer les obstacles financiers nuisant à l’accès aux services de garde, nous ouvrons la porte à toute la demande qui, à ce jour, ne pouvait être satisfaite ».
Toutefois, les Services économiques de la TD prévoient que la disponibilité des places en services de garde subventionnées par les gouvernements provinciaux ne permettra pas de répondre à la demande.
Selon le rapport, la question ne se résume pas à trouver des espaces physiques ou à réduire les coûts. La question est plutôt de savoir si l’on disposera d’un nombre suffisant d’éducateurs à la petite enfance qui pourront s’occuper de ces enfants. Toutes les provinces ont des réglementations qui régissent le ratio personnel/enfants. En Ontario, par exemple, pour les nourrissons de moins de 18 mois, le ratio entre le personnel et les enfants doit être de 3 pour 10, la taille du groupe ne doit pas dépasser 10 enfants et l’un des trois membres du personnel doit être un éducateur certifié.
Pour combler les 315 000 places manquantes estimées à l’échelle nationale, le Canada aurait besoin de 32 000 à 105 000 travailleurs dans le secteur des services de garde, dont la moitié devrait être des éducateurs certifiés. Selon le rapport, bien que les gouvernements provinciaux puissent accorder des compléments à la rémunération, les salaires de nombreux éducateurs de la petite enfance ne sont que légèrement supérieurs au salaire minimum.
De plus, lorsqu’il s’agit du financement provincial et fédéral des services de garde, le soutien aux éducateurs de la petite enfance est secondaire par rapport aux réductions des frais pour les parents. Prenons l’exemple de l’Ontario. Des 2,3 milliards de dollars qui devraient être dépensés en 2023 pour améliorer l’accès aux services de garde et les rendre plus abordables, 70 % iront aux parents sous la forme de rabais sur les coûts. Il ne reste donc que 700 millions de dollars pour créer de nouvelles places, augmenter les salaires et former de nouveaux travailleurs.
« Comment les frais quotidiens en service de garde évoluent-ils dans le temps? Comment le dispositif de financement évoluera-t-il parallèlement? La mise en place d’un système universel de services de garde représente une avancée majeure pour soutenir les familles et libérer le potentiel économique de centaines de milliers de parents. Toutefois, l’augmentation potentielle des coûts pourrait nécessiter que les contribuables soient mis à contribution », dit Francis Fong.
« C’est le défi ultime auquel les gouvernements seront confrontés », affirme Francis Fong.
L’adoption de projets de loi pour des services de garde abordables dans toutes les provinces permettra vraisemblablement d’offrir davantage de services à moindres coûts partout au Canada. Mais comme le prétendent les Services économiques TD, la course aux locaux ne fait que commencer.