Ayant grandi pendant l’apartheid en Afrique du Sud, l’entrepreneure Lotte Davis a vu comment le racisme affectait l’accès à l’emploi et à l’enseignement supérieur. Dès son enfance, elle estimait que l’inégalité dont elle était témoin était fondamentalement injuste.
Sa famille a déménagé au Canada lorsqu’elle avait 10 ans pour échapper au climat politique de l’Afrique du Sud. Lorsque Lotte Davis est entrée sur le marché du travail dans les années 1970, elle a remarqué une autre forme de discrimination susceptible d’affecter les occasions d’avancement professionnel : le sexisme. Elle a été victime de discrimination fondée sur le genre et de harcèlement sexuel sur son lieu de travail et a finalement décidé de créer sa propre entreprise où elle pourrait prendre les commandes. Elle a lancé la ligne de produits capillaires AG Hair avec son mari en 1989 dans le sous-sol de leur maison à Vancouver.
L’enfance qu’a vécu Lotte Davis ainsi que ses expériences professionnelles ont joué un rôle essentiel dans le développement et la prospérité de leur entreprise. Elle était déterminée à utiliser sa réussite financière pour fournir des occasions à des femmes qui n’en auraient peut-être pas eu autrement et pour prouver que les femmes sont tout aussi intelligentes et compétentes que les hommes.
« Je souhaitais vraiment essayer de changer la vie d’autres jeunes femmes et de retourner en Afrique pour le faire », affirme-t-elle.
Maintenant qu’elle a réussi professionnellement, elle utilise son argent pour aider les autres.
Lotte Davis utilise les profits de son entreprise AG Hair, l’un des plus grands fabricants indépendants de produits capillaires professionnels au Canada, pour soutenir des efforts philanthropiques, notamment pour son propre organisme de bienfaisance, One Girl Can. L’organisme, qu’elle a fondé en 2008, permet aux filles et aux femmes du Kenya d’accéder à l’éducation, à la formation professionnelle et au mentorat, et contribue ainsi à la lutte contre la pauvreté et l’inégalité entre les sexes dans le pays.
« Je voulais utiliser ma fibre entrepreneuriale pour créer moi-même le changement, et pas simplement rédiger un chèque », dit-elle.
Lotte Davis est l’une des nombreuses femmes philanthropes qui contribuent à changer le secteur caritatif au Canada en investissant leur argent dans des causes qui leur tiennent à cœur et qui ont une grande incidence sociale. Selon un nouveau rapport de Gestion de patrimoine TD, intitulé « Confiance et transformation : les femmes canadiennes et la philanthropie », les dons déclarés par les femmes dans leurs déclarations de revenus annuelles au Canada ont presque triplé pour passer de 1,5 milliard de dollars en 2011 à 4,3 milliards de dollars en 2021. Selon le rapport, à ce rythme, les dons déclarés par les femmes devraient atteindre 5,9 milliards d’ici 2030. (Consultez le rapport ici.)
Les femmes, les épouses et les filles étant appelées à hériter d’un billion de dollars au cours de la prochaine décennie, à mesure que les baby-boomers et leurs parents décéderont, elles sont une force motrice de la philanthropie canadienne. En d’autres termes et selon le rapport, les quelque 86 000 organismes de bienfaisance du pays ne pourraient pas fonctionner sans leur soutien.
« En plus de répondre au besoin criant de financement et de déployer un escadron de bénévoles, les femmes qui participent au secteur sont de plus en plus à l’origine de changements systémiques », affirme Jo-Anne Ryan, vice-présidente, Services de conseils philanthropiques, Gestion de patrimoine TD.
Le pouvoir de la confiance et le désir de changer les choses
Les femmes s’impliquent dans des œuvres de bienfaisance depuis des décennies, mais leur philanthropie est peut-être passée inaperçue ou sous silence dans le passé, selon un rapport de 2014 de l’Université de la Californie à Los Angeles, intitulé « Gifts from the heart ». Pendant de nombreuses années, les hommes ont souvent été considérés comme les principaux donateurs et responsables de la prise de décisions financières.
Mais les femmes aujourd’hui, en particulier les plus jeunes, sont plus disposées à s’identifier comme philanthropes et à utiliser publiquement leur argent, qu’elles l’aient gagné de manière indépendante ou qu’elles l’aient hérité, pour contribuer à changer les choses.
Le rapport de Gestion de patrimoine TD, qui s’appuie sur des entrevues auprès d’une soixantaine de femmes de partout au pays, révèle que pour les femmes philanthropes canadiennes, effectuer des dons simplement aux fins du calcul de l’impôt ne représente pas une motivation clé. Au contraire, leurs dons sont souvent motivés par des expériences familiales, une sensibilisation sociale à l’actualité et aux crises humanitaires, l’influence des amis et l’augmentation de leurs propres ressources financières.
« Les récents événements nationaux et internationaux, notamment la pandémie, le mouvement Black Lives Matter, le mouvement #MoiAussi et l’enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, ont incité les femmes à consacrer leur argent à des causes d’actualité », explique Jo-Anne Ryan.
Selon le rapport de Gestion de patrimoine TD, les donatrices veulent s’assurer que leur argent sera utilisé efficacement et apprécier l’incidence de leurs dons. Pour s’assurer qu’elles apportent une contribution positive, les femmes ont tendance à se renseigner davantage que les hommes sur l’organisme de bienfaisance avant de lui verser un don, poursuit Jo-Anne Ryan. Il peut s’agir de faire du bénévolat pour voir comment l’organisme est géré ou de parler avec les membres du conseil d’administration pour avoir une idée des personnes qui prennent les décisions.
Les femmes posent beaucoup de questions et examinent la composition du conseil d’administration pour voir s’il représente les personnes desservies par l’organisme », ajoute-t-elle. Par exemple, s’il s’agit d’un organisme au service d’une communauté autochtone, le conseil d’administration reflète-t-il cette communauté ou s’agit-il d’un groupe de personnes qui croit savoir comment servir cette communauté? ».
Une nouvelle approche adaptée aux femmes
Cette évolution du patrimoine et du comportement des donatrices oblige les organismes de bienfaisance et les institutions à adapter leurs efforts de collecte de fonds. « Étant donné que les hommes étaient souvent ceux qui gagnaient le plus et étaient donc considérés comme les décideurs en matière de dons philanthropiques, de nombreux organismes de bienfaisance, et même des conseillers financiers, s’adressaient principalement à eux, négligeant souvent l’épouse ou les enfants », explique Jo-Anne Ryan.
Cette approche n’est plus valable, car les femmes contrôlent de plus en plus les finances de leur famille, que ce soit à la suite d’un héritage, d’un divorce ou d’un travail indépendant.
« Tout comme il existe des stratégies pour le développement des affaires, les organismes de bienfaisance ont des stratégies pour la collecte de fonds. Ils se rendent compte qu’il n’y a pas une approche universelle en ce qui concerne la manière de solliciter les donateurs pour obtenir de l’argent », affirme Jo-Anne Ryan.
« Les organismes doivent avoir une stratégie d’engagement pour les femmes, établir des relations avec elles et peut-être fournir plus de renseignements, car les femmes font davantage preuve de diligence. »
Créer un héritage
Alors que les femmes sont de plus en plus nombreuses à occuper des postes de direction ou à créer leur propre entreprise, l’intégration de la philanthropie dans leur modèle d’affaires est une considération importante pour nombre d’entre elles.
Le rapport de Gestion de patrimoine TD indique que les femmes entrepreneures demeurent un moteur de l’économie canadienne et sont une source de dons importants pour le secteur caritatif. Nombreux sont ceux qui pensent que les organismes de bienfaisance doivent agir comme des entreprises, en recherchant délibérément des investissements et des talents pour soutenir leur cause.
Pour Lotte Davis, le fait de gérer One Girl Can avec le même état d’esprit qu’elle gère AG Hair, c’est-à-dire en fixant des objectifs et en élaborant du matériel de marketing solide, a permis à son organisme de se développer. Le fait d’avoir un modèle d’entreprise à but lucratif qui intègre la philanthropie, c’est-à-dire qu’une partie des bénéfices provenant d’AG Hair est versée à l’organisme à but non lucratif, a extrêmement soutenu ce dernier.
« Au début, je ne pensais pas que notre entreprise pouvait être un véhicule de collecte de fonds; la philanthropie était un objectif personnel, indique Lotte Davis. Mais ensuite, les employés, puis les clients ont aussi voulu s’impliquer. Nous sommes dans le secteur des soins capillaires, qui est composé à 90 % de femmes. Pour elles, le fait que nous utilisons nos profits pour aider d’autres femmes à atteindre leurs objectifs dans la vie a été d’une très grande importance. »
Selon le rapport de Gestion de patrimoine TD, de plus en plus de femmes devraient hériter au cours de la prochaine décennie. Il est donc important que la philanthropie fasse partie non seulement de la planification des affaires, mais aussi de la planification du patrimoine, ajoute Jo-Anne Ryan. Les familles devraient discuter avec leurs conseillers financiers de leurs objectifs caritatifs pour les aider à trouver la meilleure façon de soutenir les causes qui leur tiennent à cœur.
En outre, Jo-Anne Ryan estime qu’il est vraiment important que les femmes se manifestent et associent, en toute transparence, leur nom à la philanthropie, que ce soit par un don important ou par la création d’une fondation. Bien que cela puisse passer pour de la vantardise, cela a un but plus important.
« Les femmes devraient continuer à proposer une image de marque plus audacieuse afin d’encourager un plus grand nombre d’entre elles à s’impliquer dans des œuvres caritatives, déclare-t-elle. Plus nous impliquons de femmes dans la philanthropie, plus nous avons la possibilité de créer un héritage durable ».