Par Brian DePratto
Économiste principal
Le gouverneur de la Banque du Canada, Stephen Poloz, s’est exprimé ce matin à Toronto. Son allocution faisait partie du « Bilan de la situation économique » de la Banque du Canada, qui vise à donner des éclaircissements sur le processus de prise de décision ayant mené à l’annonce de mercredi du maintien du taux directeur à 1,75 %.
L’allocution était divisée en deux parties. La première, qui portait sur la stabilité et les vulnérabilités financières, a renforcé les communications et la recherche faites par la Banque du Canada dans les derniers mois. M. Poloz semble satisfait des progrès effectués pour améliorer la qualité des emprunts des ménages. Il a cependant pris soin de reconnaître que certaines politiques semblent avoir orienté les emprunteurs vers des prêteurs moins réglementés et que la dette globale demeure relativement risquée. Il semble aussi fermement convaincu qu’une croissance plus lente du prix des propriétés est plus favorable aux premiers acheteurs qu’une hausse des taux peut leur être défavorable.
La deuxième partie de l’allocution était la plus intéressante; elle s’attardait aux risques macroéconomiques et aux perspectives d’inflation. M. Poloz a été très franc, du moins par rapport aux standards d’une banque centrale. Il a indiqué que, depuis la décision de hausser les taux en octobre, les données ont été plutôt décevantes. Les détails du rapport sur le PIB du troisième trimestre n’ont pas répondu aux attentes, et l’élan semble plus lent à se manifester que prévu. L’investissement des entreprises en particulier a été évoqué, avec un déclin inattendu s’expliquant par l’incertitude entourant le commerce et le retard du projet d’oléoduc Trans Mountain. Si l’on fait abstraction des développements à court terme, le gouverneur maintient des perspectives positives pour le secteur, misant sur des facteurs comme l’Accord Canada–États-Unis–Mexique, les contraintes de capacité et les récents changements fiscaux.
L’exploitation pétrolière est clairement la première préoccupation. D’abord, la Banque du Canada évalue en ce moment les implications des révisions de données historiques de Statistique Canada, qui montrent maintenant une économie beaucoup plus faible au cours du choc pétrolier de 2015 et 2016 – une évaluation complète sera incluse dans le Rapport sur la politique monétaire de la Banque en janvier 2019. Les plus récents développements du marché énergétique national sont également perçus comme ayant un impact « significatif » sur l’économie canadienne, même si le gouverneur a minimisé certains risques en faisant remarquer que le secteur représente une part bien moins importante de l’économie qu’en 2014.
Tout n’était pas aussi décourageant, cependant. On nous a rappelé que de tels développements ont lieu dans une économie affichant un taux de chômage à son plus bas depuis près de 40 ans, et une inflation qui se trouve globalement dans la cible visée. Les récents développements n’ont pas changé la perspective que le taux directeur devra atteindre son niveau « neutre » (de 2,5 % à 3,5 % selon l’estimation de la Banque du Canada) afin de contrôler l’inflation. Toutefois, bien entendu, la route pour s’y rendre « dépendra assurément des données ».
Principales conséquences
Lancées cette année, les allocutions du « Bilan de la situation économique » accompagnant les décisions liées au taux d’intérêt qui ne s’inscrivent pas dans le cadre du Rapport sur la politique monétaire ont jusqu’ici eu tendance à être assez ternes. Celle d’aujourd’hui avait toutefois un peu plus de piquant, car les événements des six dernières semaines ont montré exactement ce que signifie être « dépendants des données ». Le ton du message de la Banque du Canada est passé de ferme à conciliant alors que les chocs affectant les produits de base et des signes d’estompement de l’élan ont modifié le cours des prévisions économiques.
En effet, parmi les sujets préoccupants mis de l’avant par M. Poloz se trouvent la faiblesse de l’investissement des entreprises, les conséquences de la hausse des taux sur les renouvellements hypothécaires dans les prochaines années et, bien sûr, les récents développements dans la production et les cours du pétrole au Canada.
La situation peut encore se redresser. Les derniers développements au niveau des politiques sont de bon augure pour les investissements et les exportations (d’ailleurs, les chiffres d’aujourd’hui sur le commerce, même s’ils ne reflètent pas nécessairement une tendance, étaient néanmoins encourageants). Le gouverneur a également indiqué qu’un taux de chômage au plus bas depuis 40 ans n’est pas exactement le signe d’une économie faible (nous aimerions renchérir en notant que les taux d’emploi et de participation du groupe d’âge principal sont tous deux à des sommets sans précédent).
Essentiellement, même si les récents développements sont clairement négatifs, il y a de la lumière au bout du tunnel. Cependant, alors que l’économie doit composer avec des chocs, il y a nettement moins d’urgence à augmenter les taux à court terme. Il n’y a pas grand-chose à perdre d’attendre la confirmation que les récents événements sont bien temporaires et que les développements attendus, notamment dans les investissements et les exportations, auront bien lieu. Attendre au printemps pour augmenter son taux directeur semble être la meilleure façon pour la Banque du Canada d’avoir plus de certitude quant à la situation, à peu de coûts sur le plan du contrôle de l’inflation.
Message reçu pour les marchés financiers. La probabilité d’une hausse de taux en janvier s’établissait à environ 60 % au cours des deux derniers mois. Toutefois, entre le message de la Banque du Canada de mercredi et l’allocution de jeudi, cette probabilité s’est à présent effondrée, et l’échéancier le plus probable a maintenant rejoint le nôtre.