Ma mère avait six ans la première fois qu’elle a rencontré son frère et sa sœur aînés.
Un jour, alors que ma mère se trouvait dans la maison familiale près de la réserve de la Première Nation de Sandy Bay, sur la rive ouest du lac Manitoba, ma tante Julia et mon oncle Tony ont franchi le seuil de la porte. Julia avait 15 ans et Tony, 17 ans. Pour ma mère, ils étaient de parfaits inconnus.
Jusque-là, Julia et Tony avaient vécu au pensionnat situé à proximité, et ce n’est qu’à sa fermeture qu’ils ont regagné la maison familiale.
Malheureusement, pour les familles de notre communauté et de nombreuses communautés au pays, cette réalité était monnaie courante.
Pendant plus d’un siècle, les enfants de la communauté autochtone ont été arrachés à leur famille ‒ parfois ils disparaissaient sans laisser de trace, parfois ils étaient séparés de force de leur foyer ‒ et placés dans le système des pensionnats où bon nombre d’entre eux ont subi d’horribles sévices, tout cela en raison de leur race et de leur culture.
Ma mère, Susan, est Ojibwée. Elle est issue d’une grande famille de douze enfants qui ont tous été contraints de fréquenter les externats indiens (comme elle) ou les pensionnats, au sein desquels les enfants vivaient séparés de leurs parents et de leur communauté, comme tante Julia et oncle Tony.
Aujourd’hui, je suis fier d’être directeur de succursale TD à Portage La Prairie, à seulement 40 minutes de l’endroit où ma mère a grandi. Et même si parfois, on a l’impression d’être à une autre époque et dans un autre lieu, il n’en demeure pas moins que cette année a fait ressurgir de douloureux rappels de notre passé pas si lointain.
Cette année est différente
Comme bon nombre de Canadiens, j’ai été attristé et fâché par la découverte des fosses communes sur les sites d’anciens pensionnats cette année. Mais je n’ai pas été surpris.
Le sentiment de perte incroyable et les séquelles durables des traumatismes causés par le système des pensionnats sont une douleur qui a été ressentie et continue d’être ressentie par ma famille et les communautés autochtones à l’échelle du Canada.
Pour nous, les horreurs du système des pensionnats ne sont pas de nouvelles révélations. Les traumatismes subis par les membres de ma famille et d’autres comme eux sont au cœur de notre histoire commune et font partie intégrante de notre arbre généalogique. Nous n’en sommes pas toujours conscients, mais ils sont toujours là, comme la photo jaunie qui orne le mur de votre maison et que vous ne voyez plus.
Les peuples autochtones doivent vivre avec l’héritage cruel laissé par le système des pensionnats. Nous avons toujours su que ces horreurs se sont produites, qu’il s’agisse des enfants, de la torture ou des tombes anonymes, mais personne n’y prêtait attention, jusqu’à maintenant.
Les choses semblent un peu différentes cette année. À l’approche de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, le Canada semble à tout le moins avoir assumé son passé et son histoire. Ce qui donne à penser que le dialogue est enfin amorcé.
D’autres familles ont eu moins de chance
D’autres familles ont eu moins de chance que celle de ma mère, qui a fini par rencontrer son frère et sa sœur. Mais, pour beaucoup de familles, le chagrin, la colère et la tristesse d’ignorer ce qu’il est advenu de leurs enfants ne s’estomperont jamais. Bon nombre d’entre eux ne sont jamais rentrés à la maison, n’ont jamais pu revoir leurs parents ni connaître leurs jeunes frères et sœurs.
Même pour ceux et celles qui sont revenus, la vie n’a pas été facile. Selon ma mère, ses frères et sœurs étaient des enfants endurcis après leur retour, répétant certains cycles de la violence. Pendant des décennies, les horreurs de la violence subie par ma tante Julia et mon oncle Tony ont été gardées sous silence.
Mon oncle Tony ne s’en est jamais vraiment remis et ne fait pas allusion à son passé.
Pendant des années, tante Julia a fait de même. Elle n’a jamais parlé de son expérience. Ce n’est qu’au début de l’année, lorsqu’elle est tombée malade, qu’elle a commencé à nous raconter son histoire pour la première fois.
Malheureusement, elle est décédée cet été. Il n’est pas exagéré de dire que ce qui lui est arrivé dans ce pensionnat durant son enfance a façonné sa vie entière.
Pour ma mère, la mort de sa sœur et la découverte des tombes anonymes cet été l’ont obligée à faire face à l’expérience qu’elle a vécue à l’externat et qu’elle avait occultée pendant toutes ces années. À l’heure actuelle, elle effectue des recherches et s’efforce d’apaiser sa douleur, ce qui, je crois, est le cas pour de nombreuses personnes autochtones en ce moment.
Les séquelles de la violence et des traumatismes sur les peuples, les familles et les communautés autochtones en général dépassent presque l’entendement.
Que nous réserve l’avenir?
Il est parfois difficile de croire que tout cela s’est produit à seulement 40 minutes de mon bureau où je rencontre des clients au quotidien. Pourtant, il y a des jours où je suis encore témoin de l’héritage de la pauvreté et des luttes générationnelles causées par le passé colonial du Canada et le système des pensionnats.
Ma succursale se trouve dans la zone couverte par le Traité n° 1. Nous servons de nombreux clients issus des communautés autochtones. Nous constatons que les membres de notre communauté souffrent encore beaucoup de la pauvreté générationnelle. Souvent, quand on prend le temps de comprendre ce qu’ils ont vécu, on se rend compte que plusieurs ont connu une expérience similaire à celle de ma mère, de ma tante et de mon oncle, et qu’ils ne s’en sont jamais vraiment remis.
Les séquelles du système des pensionnats sur les peuples autochtones ont influé non seulement sur notre bien-être mental, physique et émotionnel, mais également sur notre santé économique.
À notre succursale, nous nous efforçons d’apprendre aux gens à épargner, à planifier leur retraite et à bâtir un patrimoine. À bien des égards, il s’agit de briser le cycle de la pauvreté générationnelle qui prévaut dans de nombreuses communautés autochtones. Selon moi, ces efforts sont d’une importance capitale. Afin de pouvoir aider ces personnes, nous devons éviter de juger les gens trop rapidement et prendre le temps de comprendre pourquoi ils éprouvent des difficultés.
Avant de mourir, l’une des dernières choses que m’a dites tante Julia est de prendre soin de moi. À mes yeux, cela signifie également prendre soin de mes enfants, de ma famille et de ma communauté. À l’occasion de cette première Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, j’entends passer du temps avec mes enfants et tisser des liens avec ma communauté.
C’est le bon moment pour que des personnes d’horizons différents se réunissent et se concentrent sur ce qu’elles ont en communs, plutôt que sur leurs différences.
J’invite les gens à considérer cette journée de commémoration comme une occasion d’échanger sur nos expériences, de contribuer à la guérison du passé, de prendre des mesures positives en prévision de l’avenir et de s’unir dans le présent.