Pour Agapi Gessesse, la pandémie de COVID-19 a aggravé une situation déjà difficile.
Depuis 2018, Agapi Gessesse occupe le poste de directrice générale du CEE Centre for Young Black Professionals, un organisme sans but lucratif de Toronto mis sur pied pour aider les jeunes Noirs à surmonter les obstacles économiques et sociaux. Celui-ci offre des programmes et de la formation pour aider les jeunes professionnels Noirs à améliorer leurs possibilités de carrière dans le secteur de la technologie, du commerce et des services sociaux.
Même avant la pandémie, le financement de programmes dirigés par des Noirs comme ceux offerts par le CEE (acronyme de Careers Education Empowerment) n’arrivait pas à répondre à la demande. L’année dernière, lorsque les effets sociaux dévastateurs de la pandémie ont commencé à perturber les vies de millions de Canadiens, les communautés noires ont été parmi les plus durement touchées.
Selon Statistique Canada, les minorités visibles, y compris les communautés noires, sont plus susceptibles de travailler dans les secteurs les plus touchés par la pandémie, comme les services d’hébergement et la vente au détail, ce qui augmente à la fois les risques sanitaires et financiers. Également, les données de Statistique Canada indiquent que même si le chômage a diminué au cours de la deuxième moitié de 2020, le taux de chômage dans la communauté noire est demeuré plus élevé à 17,6 % comparativement à la moyenne nationale de 9,4 %.
Par conséquent, la demande pour la formation et les services de recherche d’emploi offerts par le CEE et ses organisations partenaires a explosé, alors que le financement a diminué et les bureaux ont dû fermer pour se conformer aux mesures de distanciation physique.
« Lorsqu’un événement qui affecte tout le monde survient soudainement, comme la COVID-19, vous devez être en mesure de répondre à la demande », a souligné Agapi Gessesse.
« Mais pour y arriver, vous avez besoin de ressources et de personnel. Comme les organismes dirigés par les Noirs et les communautés noires sont en mode survie depuis si longtemps, il n’y a pas de marge de manœuvre lorsqu’arrive une catastrophe. »
Un effet disproportionné
En avril 2020, lorsque les gouvernements ont instauré le confinement pour tenter d’arrêter la propagation de la COVID-19, Agapi Gessesse a craint que celui-ci n’ait un effet disproportionné sur les communautés noires et les autres communautés racialisées partout au Canada.
En mars 2020, l’équipe du CEE composée de trois travailleurs sociaux qui s’occupait alors de 15 jeunes a vu les demandes d’aide grimper à 140. Certains avaient perdu leur emploi et avaient besoin de nourriture ou de fournitures pour bébé, alors que d’autres risquaient de perdre leur toit en raison des difficultés économiques causées par la pandémie.
Au risque de s’épuiser, il était impossible pour Agapi Gessesse et son équipe de répondre à toutes ces demandes de soutien. Elle a alors conclu un partenariat avec différentes organisations au cœur de la communauté noire, soit des organisations axées sur les Noirs, dirigées par des Noirs et/ou au service des Noirs (appelées « B3 » en anglais). Elles jouent un rôle essentiel en aidant les membres vulnérables de la communauté noire parce qu’elles comprennent mieux leurs besoins et savent comment leur offrir un soutien efficace.
Le CEE a conclu un partenariat avec le Network for the Advancement of Black Communities (NABC) pour mener un sondage à l’échelle du pays dans le but de comprendre les besoins des organisations B3 communautaires et émergentes. Éventuellement, ces renseignements permettront au CEE d’obtenir le financement dont il a besoin.
Le CEE a ensuite fait parvenir le rapport aux joueurs clés, ce qui, selon Agapi Gessesse, a été à l’origine de la décision de la Ville de Toronto et de la province de l’Ontario de verser une subvention combinée de 4,5 millions de dollars pour venir en aide directement aux communautés noires.
Dans son rapport, Agapi Gessesse indiquait que la COVID-19 avait amplifié les inégalités existantes qui touchent les communautés noires.
« Des fonds d’urgence sont nécessaires pour venir en aide aux personnes âgées isolées, aux sans-abri, aux personnes ayant besoin de soins en santé mentale, aux mères monoparentales, aux personnes souffrant de troubles médicaux, aux marginaux et aux pauvres, aux personnes handicapées et à celles pour lesquelles l’insécurité alimentaire est une préoccupation, ainsi qu’aux personnes qui prennent soin de ces personnes les plus vulnérables. »
Rétablissement, guérison et résilience
Avec cette nouvelle source de fonds, le CEE a créé le programme Recovery, Healing & Resilience (RHR) à l’intention des communautés noires canadiennes, et agit également comme une organisation fiduciaire.
« Lorsque le financement vient du gouvernement fédéral, un grand nombre d’organisations communautaires n’ont pas la structure nécessaire pour présenter une demande de subvention parce que leurs états financiers ne sont pas vérifiés », a ajouté Agapi Gessesse. « Notre but est de les aider à tirer le meilleur parti possible de ces occasions de financement. »
Le programme RHR a été conçu pour surmonter ces obstacles auxquels sont confrontées les organisations B3, notamment la capacité de servir leurs concitoyens et la mise en place d’une norme de travail permettant de tirer parti des occasions qui se présentent.
En plus d’aider ces organisations à développer leurs capacités d’adaptation – planification de la relève, élaboration de politiques et expertise en demandes de subventions – les programmes leur donneront également accès à des outils et à des rituels spécifiques pour favoriser la guérison des communautés noires, à des réseaux d’apprentissage entre pairs et à un plan d’action communautaire sur cinq ans pour favoriser l’adhésion à un objectif commun dans le secteur des organisations B3.
Selon Agapi Gessesse, le but est de mettre en relation les membres de la communauté noire avec les organisations locales en vue d’améliorer leurs capacités et de tisser des liens, afin de travailler ensemble pour venir à bout des inégalités systémiques et des défis en matière de politiques.
« Pour réaliser notre mission, nous devons entretenir et coordonner un solide réseau d’agences B3 pour lutter contre les effets discriminatoires de la COVID et donner à nos communautés les moyens de travailler ensemble à une reprise inclusive », ajoute Agapi Gessesse.
Le programme RHR a récemment reçu une subvention de 650 000 $ dans le cadre du défi TD Prêts à agir 2020 pour son engagement à aider les communautés noires à renforcer leur résilience et à se rétablir après la pandémie.
Dans le cadre du programme Initiative de résilience des collectivités TD visant à soutenir le rétablissement et à bâtir la résilience des collectivités, le défi TD Prêts à agir 2020 a versé des subventions allant de 350 000 $ à un million de dollars à des organismes sans but lucratif au Canada et aux États-Unis qui offraient des solutions novatrices pour aider à répondre aux inégalités croissantes exacerbées par la pandémie.
« Je pleure rarement, mais j’ai éclaté en sanglots parce que c’est ce dont l’ensemble de notre communauté a besoin – pas juste le CEE ou le NABC. La subvention va aider tout un écosystème et c’est un gain énorme pour la communauté noire. »
Le CEE et le NABC continuent de travailler avec les groupes pour trouver des façons d’accroître leurs capacités; le NABC se penche sur la navigation dans le système alors que le CEE met l’accent sur les laboratoires d’apprentissage pratiques et le renforcement de la capacité.