À quelques jours de ses 20 ans, Diarra Mbacke quittait pour la première fois de sa vie les plages de sable blanc de Dakar, au Sénégal.
En 2014, elle atterrissait à Montréal en pleine tempête de neige. Elle allait étudier à l’Université Laval grâce à une bourse et entreprendre une double majeure en mathématiques et en informatique.
Son plan était clair : commencer par cette double majeure, puis obtenir un doctorat en mathématiques. De là, elle se voyait faire une carrière dans le milieu universitaire et devenir professeure de mathématiques.
Mais aucun de ces rêves n’incluait l’intelligence artificielle (IA). Diarra ne croit même pas avoir entendu parler de cette technologie à l’époque.
« Je n’avais aucune connaissance en IA », raconte-t-elle.
Un peu plus de 10 ans plus tard, Diarra est chercheuse en apprentissage automatique chez Layer 6, le centre de recherche et de développement en IA du Groupe Banque TD.
Comme beaucoup d’autres dans le domaine, son cheminement vers l’IA est atypique. Contrairement aux études en droit ou en médecine, il n’y a pas de parcours unique pour y accéder.
Bien que certaines universités au Canada et aux États-Unis offrent désormais des programmes de baccalauréat et de maîtrise en IA et en apprentissage automatique, il existe d’autres voies pour travailler dans ce domaine, comme le sait Diarra. Layer 6 compte aujourd’hui de plus de 200 collègues ayant des parcours très variés par leur pays d’origine, leur formation et leurs expériences professionnelles.
Pour Diarra, l’IA est devenue une option au doctorat. Après avoir obtenu une maîtrise en informatique en 2018, elle a déménagé à Toronto et a travaillé dans le développement de logiciels avant de revenir à Québec pour terminer un doctorat à l’Université Laval en 2021.
« L’IA semblait être le sujet idéal, dit-elle. À l’époque, mes connaissances étaient limitées sur le sujet, mais je savais que ça pouvait être un moyen de mettre à profit ma formation universitaire pour résoudre des problèmes concrets qui pourraient améliorer la vie des gens, plutôt que de rester assise dans un laboratoire. Cette perspective m’a toujours attirée. »
Elle a obtenu son doctorat en novembre 2024 et s’est jointe à l’équipe Layer 6 le mois suivant. Presque immédiatement, elle a travaillé au développement et à la validation de l’assistant virtuel IA de Valeurs Mobilières TD, un robot conversationnel interne conçu pour aider les équipes de ventes, de négociation et de recherche à recueillir plus rapidement que jamais des données sur les placements et les marchés boursiers afin de mieux servir les clients.
Lancé en juillet dans le cadre d’un projet pilote, Cet assistant virtuel aide aujourd’hui plus de 100 collègues de la Banque à résoudre des problèmes en temps réel – une plateforme à laquelle Diarra a directement contribué.
Bâtir une équipe en IA avec de jeunes talents
À l’instar de Diarra, Sumee Seetharaman, vice-présidente, Pratique Intelligence artificielle et Apprentissage automatique à la TD, n’a pas suivi un parcours linéaire en IA. Fille d’un ingénieur et d’une rédactrice en chef d’une revue scientifique de chimie de premier plan, Sumee a grandi en Inde. Elle a déménagé aux États-Unis pour entreprendre des études en génie électrique à l’Université de Cincinnati. Après avoir travaillé dans le secteur technologique pendant quelques années, elle est retournée à l’université, cette fois à Toronto, pour obtenir une maîtrise en administration des affaires.
Elle s’est jointe à la TD en 2014 pour participer au développement de la technologie d’identité numérique. Elle est ensuite devenue l’une des leaders de l’innovation à la TD avant d’occuper son poste actuel dans l’équipe Layer 6, où elle participe au recrutement de nombreux nouveaux talents en IA.
« Les voies vers l’IA sont multiples », précise-t-elle. « Nous ne recherchons pas spécifiquement des personnes issues d’un programme spécialisé en IA. Nous voulons des candidats ayant de solides bases en sciences appliquées, en informatique, en génie ou en mathématiques, et divers programmes offrent cette formation. Et nous recrutons à tous les niveaux : baccalauréat, maîtrise ou doctorat. »
Nombre de ses collègues ont décroché leur premier emploi après l’université chez Layer 6. Certains y travaillent depuis des années et sont restés à la TD, où ils ont amélioré leurs compétences et obtenu des promotions. D’autres, comme Diarra, viennent tout juste d’y entrer après leurs études. Sumee estime que 60 % des talents de l’équipe de Layer 6 sont recrutés immédiatement après leurs études universitaires.
La TD déniche de jeunes talents dans le cadre de ses relations académiques avec l’Université de Toronto et l’Université de Waterloo au Canada, ainsi qu’avec le M.I.T. et l’Université Columbia aux États-Unis. Sumee explique que grâce à des programmes de stages et de travail-études qui permettent aux étudiants de participer à des projets de recherche pendant plusieurs mois, il est possible de repérer très tôt les talents prometteurs.
La TD adopte cette approche à une époque où la concurrence pour attirer les talents en IA est féroce. Selon Business Insider, de nombreux acteurs du secteur comparent désormais cette concurrence à celle qui règne dans le domaine du sport, où plusieurs franchises se disputent les meilleurs joueurs d’une ligue. La demande n’a jamais été aussi forte, en raison notamment du manque de talents disponibles. La publication affirme qu’à l’heure actuelle, seulement environ 2 000 personnes sont capables de créer des modèles de fondation.
Au-delà du parcours universitaire
Sumee croit que ce qui permet à Layer 6 d’attirer des talents et de les conserver est sa culture d’entreprise. Avant son acquisition par la TD en 2018, Layer 6 était une entreprise en démarrage. À bien des égards, elle a conservé ce fonctionnement. Les collègues comme Diarra qui s’intéressent à la recherche et à la publication d’articles lors de conférences sur l’IA peuvent toujours le faire. À l’issu de ce processus, ils peuvent exploiter leurs recherches pour la TD pour transformer ces travaux en solutions pour les besoins d’affaires.
Et bien que l’équipe ait plus que décuplé depuis son acquisition, Sumee affirme qu’elle demeure assez agile pour laisser aux collègues une grande latitude et la responsabilité des projets qu’ils entreprennent. « La capacité de repousser les limites de la recherche en IA tout en générant des retombées concrètes pour les clients et pour l’entreprise est attrayante », explique-t-elle.
Cependant, Sumee croit que le parcours universitaire est loin d’être tout ce qui compte. Certaines compétences indispensables ne s’enseignent pas dans les programmes de sciences, de mathématiques et de génie. Citons notamment la communication. Layer 6 travaille avec tous les autres secteurs de la Banque. Les collègues doivent donc être capables d’expliquer leur travail et de collaborer avec des personnes qui ont peu ou pas de connaissances en IA.
La curiosité est une autre compétence clé. Les collègues de l’équipe de Sumee doivent avoir envie d’apprendre, et vite.
Rien n’illustre mieux cela que le parcours personnel de Diarra. Elle a quitté son pays afin d’acquérir une expertise en informatique et en mathématiques, puis est retournée aux études pour se spécialiser dans un domaine entièrement nouveau qu’elle n’avait jamais envisagé.
Et aujourd’hui, cette curiosité nourrit son travail et ses recherches à Layer 6.
« Nous ne faisons pas qu’approfondir les connaissances en IA, nous en créons et découvrons de nouvelles choses », conclut Diarra.